Littérature Chronique 08 septembre 2025 · 3 min de lecture

Mon vrai nom est Elisabeth

Adèle Yon signe avec Mon vrai nom est Élisabeth un « récit d’enquête » fascinant et profondément humain, où la quête de vérité se mêle à la mémoire familiale et à l’histoire des femmes.

Adele Yon
Aldjia.b
Auteur

Une quête familiale — intime et politique

Ce premier livre, issu de la thèse de la jeune chercheuse en cinéma, entame une plongée troublante dans le passé de son arrière-grand-mère, Elisabeth — dite Betsy — internée, lobotomisée et finalement effacée de la mémoire familiale

À partir d’un détail anodin — une photo oubliée dans un carton et la peur soudaine de “devenir folle” — Adèle Yon embarque dans une enquête qui devient peu à peu un plaidoyer universel.

À mi-chemin entre l’essai, le road‑trip, le journal intime et l’enquête d’archives, l’autrice tisse ses propres réflexions avec des entretiens, des lettres familiales, des rapports médicaux, et des récits oraux qui donnent corps à une aïeule longtemps silencieuse. Cette structure en patchwork reflète la complexité des destins féminins et l’impossibilité de les enfermer dans une seule catégorie.

Betsy, femme trop libre pour son époque, incarne un "double fantôme" hantant sa lignée — une figure interdite, effacée, portée au rang de tabou. Adèle Yon refuse cette absence et la restitue dans toute sa puissance : une femme drôle, impulsive, affligeant l’ordre patriarcal par sa simple présence, jusqu’à faire brûler un château à 23 ans.

Le récit éclaire aussi la psychiatrie du XXᵉ siècle, outil de contrôle social principalement utilisé contre les femmes jugées “à part” ou dérangeantes. À travers ce regard lucide, l’autrice déconstruit les mythes de la folie héréditaire en affirmant : “J’hérite de la colère de mon arrière‑grand‑mère, pas de sa folie.”.

Récompensé par plusieurs prix (France Télévisions, Elle, Nouvel Obs…), couronné par la critique — "enquête minutieuse, étayée, obstinée" (Télérama), "choquant", "fascinant", "puissant" — l’ouvrage de Yon impose une voix nouvelle et nécessaire dans le paysage littéraire.

Ce que j’ai apprécié, c’est cette tension entre la recherche académique — rigoureuse et froide — et la pulsion fragile et vulnérable d’une femme qui veut comprendre son héritage interdit. C’est un récit où la peur d’hériter de la folie devient moteur de liberté — une vraie thérapie collective, une catharsis partagée.

En résumé, Mon vrai nom est Élisabeth est un premier livre remarquable — dense, bouleversant et éclairant — qui refait place aux femmes effacées de l’histoire tout en interrogeant nos propres peurs contemporaines. À lire absolument.

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