Chronique Littérature 10 novembre 2025 · 3 min de lecture

Rêve de femmes - Une enfance au harem de Fatima Mernissi

« Je suis née en 1940 dans un harem à Fès, ville marocaine du neuvième siècle, située à cinq mille kilomètres à l’ouest de La Mecque, et à mille kilomètres au sud de Madrid, l’une des capitales des féroces chrétiens. Notre problème avec les chrétiens, disait mon père, commence, comme avec les femmes, lorsque les hudud, les frontières sacrées, ne sont pas respectées. » C’est ainsi que s’ouvre le récit de Fatima Mernissi. Dès les premières lignes, le ton est donné : celui d’une enfance vécue derrière des murs, mais éveillée à la conscience du monde et à la complexité des frontières — celles du genre, de la religion, de la liberté.

Auteur · 10 novembre 2025
Image fournie par l’auteur

Une enfance entre murs et songes

Fatima Mernissi (1940–2015), sociologue, écrivaine et féministe marocaine, livre ici bien plus qu’un simple témoignage. Rêves de femmes est à la fois un récit d’enfance, une fresque historique et une réflexion sur la condition féminine dans le Maroc des années 1940.

Le harem, loin des clichés orientalistes, devient sous sa plume un espace clos, mais vibrant, peuplé de femmes : mères, tantes, cousines, servantes… toutes prisonnières d’un même univers où l’interdit structure le quotidien.
Car le mot harem, venant de haram, signifie littéralement « ce qui est défendu, sacré ».
Un lieu où les femmes vivent ensemble, protégées — ou plutôt confinées — dans une intimité imposée par les hudud, ces frontières sacrées que nul ne doit franchir.

Au cœur de cet espace fermé, la petite Fatima grandit, curieuse, éveillée, avide de comprendre.
Elle observe, questionne, rêve.
Son imaginaire est nourri par les contes de Shéhérazade, les murmures des femmes, les histoires chuchotées dans les patios ombragés.

Mais déjà, elle pressent que ce monde n’est pas fait pour elle :

Si tu ne peux pas quitter le lieu où tu te trouves, tu es du côté des faibles.

Cette phrase résonne comme un mantra.
Entre la voix de sa mère, pleine de sagesse et de résignation, et celle des autres femmes, parfois révoltées en silence, la jeune Fatima construit son propre regard : celui d’une enfant qui refuse la soumission et rêve de franchir les murs — au sens propre comme au figuré.

Ce que Fatima Mernissi parvient à faire, c’est transformer un espace d’enfermement en lieu de mémoire et de réflexion.
À travers son regard d’enfant, tout devient vivant : les odeurs de jasmin, le bruit des pas dans les couloirs, la voix d’une conteuse, la colère contenue d’une femme mariée trop jeune.

Sous l’apparente douceur du récit, se cache une critique subtile mais implacable de la société patriarcale et des traditions qui musellent les femmes.
Mernissi nous invite à observer, à écouter, à réfléchir — jamais à juger.
Elle nous fait ressentir la beauté d’un monde ancien tout en dénonçant son injustice.

La plume de Fatima Mernissi est à la fois poétique et lucide.
Elle écrit avec une tendresse infinie pour celles qui l’ont entourée, mais sans effacer la douleur ni la révolte.
Sa voix est celle d’une femme libre, qui se souvient de l’enfant qu’elle a été — une enfant qui, dès son plus jeune âge, avait compris que penser, c’est déjà s’échapper.

Rêves de femmes – Une enfance au harem est un texte précieux.
C’est le récit d’une initiation à la liberté, d’une prise de conscience face aux frontières invisibles imposées aux femmes.
C’est aussi un hommage vibrant à toutes celles qui, par leurs mots, leurs rêves ou leurs silences, ont résisté.

Un livre fort, lumineux, empreint de culture, de poésie et de féminisme.
Un de ces récits qui vous donnent l’impression d’être, vous aussi, assise dans la cour du harem, à écouter les confidences des femmes, entre ombre et lumière.

Et vous, l’avez-vous lu ?
Quels rêves de liberté avez-vous entendus entre ses pages ?

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